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Date de création : 07.01.2010
Dernière mise à jour : 30.11.2010
54 articles


LE TELEPHONE

Publié le 07/01/2010 à 15:54 par contes-legendes Tags : contes légendes nouvelles
                LE TELEPHONE

                             

 

                                       LE TELEPHONE

 

 

 

 

Le village de Verrières est campé à cheval entre les départements de l’Orne et de l’Eure et Loir. Il se situe sur la D 11, entre Berd’huis et Rémalard. Sur la place de l’église, une voiture s’arrête. En descendent cinq personnes.

 

-        Tenez messieurs-dames, c’est ici, au numéro 7 de la rue des Tanneurs. Quel joli nom pour une rue, n’est-ce pas ?

-        Les gens regardent en direction du doigt que pointe l’agent immobilier.

-        Dites  monsieur vous ne vous trompez pas ? le sept c’est…  la boutique d’un coiffeur ?

-        Ah ? Je ne vous ai pas dit au téléphone que la maison à vendre était anciennement l’échoppe du coiffeur du village ? C’est pittoresque non ? Venez, approchez-vous donc !

 

L’agent immobilier montre une maison enchâssée par d’autres logements. Elle n’est haute que d’un étage. Pour y accéder, il faut gravir une marche de silex aux bords arrondis par les nombreux passages des chaussures. Elle a été bâtie de pierres légèrement jaunâtres, probablement extraites des carrières du pays.

La façade a été recouverte de bois peint en vert. Au dessus de la porte d’entrée, en grand, il est inscrit à la peinture noire ‘COIFFEUR’ et de chaque coté en plus petit ‘HOMME’.

 

- Foutue porte, voilà donc qu’elle ne s’ouvre pas ! peste le marchand de biens, un homme à la taille bien mise, d’une quarantaine d’années, les cheveux châtains, un visage fin, une petite moustache à la Clark Gable ornant sa lèvre supérieure.

 

D’un coup d’épaule, il pousse violemment la porte en chêne qui s’ouvrira sans aucun grincement.

-        Elle fonctionne pourtant parfaitement, elle est bien graissée, rien ne doit entraver son ouverture, constate le monsieur à la moustache, faisant faire plusieurs va et vient à la porte qui semble, il est vrai, glisser sans retenue. Entrez donc, je vous en prie, dit-il en s’effaçant pour laisser passer Mr Jean et Mme Brigitte Bautel, ainsi que leurs deux enfants.

-        Comme vous le voyez, on ouvre sur un couloir où, de chaque côté, se trouvent deux portes. Cette pièce-ci, dit l’agent immobilier en ouvrant la première porte à sa gauche, c’est.  . . ? le salon.

 

Puis il ouvre la porte faisant face :

 

- Ici, la...salle à manger, assez grande et bien éclairée ! C’est ici qu’il y a très longtemps le propriétaire avait installé son salon de coiffure.

 

Il avance puis pousse une autre porte :

 

- Là, se trouve...la cuisine, et là en face... une chambre. La dernière porte est... ah oui, les toilettes. Au premier étage..., il consulte ses papiers, nous trouverons... Excusez-moi, mais je découvre la maison en même temps que vous. Vous êtes les premières personnes à qui nous faisons visiter ce bien. Je disais donc, reprend-il, que nous trouverons deux grandes chambres et une belle salle de bain. Mais, je vous laisse d’abord visiter les pièces du rez-de-chaussée.

 

Les enfants du couple Bautel, un garçon de onze ans prénommé Félix et une fille de neuf ans que tout le monde appelle du petit nom de Moune, vont, d’une pièce à l’autre, en poussant des exclamations enchantées.

 

- Regarde papa, dit le fils, comme elle est grande la salle de séjour !

- Maman ! Maman ! claironne la fillette. Tu as vu, il y a une grande fenêtre dans la cuisine, et la porte là, elle donne où ? Oh maman ! Regarde, continue t’elle après avoir ouvert, il y a un grand jardin. Papa ! Papa ! Félix ! Venez voir un peu, c’est trop cool !

 

Le négociateur en immobilier arbore maintenant un sourire ravi. Les enfants sont emballés. C’est pour lui de bon augure, l’affaire s’annonce bien engagée ! Il décide de ne rien brusquer et de laisser la famille Bautel examiner à sa guise toutes les pièces de la maison. Aussi, sort-il dehors, prenant le prétexte de griller une cigarette.

 

Faudra peut être que j’essaie d’arrêter le tabac’, pense t’il en retenant une petite toux causée par l’arrivée de la fumée dans ses poumons.

 

Il va se passer une bonne heure. La famille Bautel a envahi la maison, circulant d’une pièce à l’autre, ouvrant et refermant les volets des chambres au premier étage. A tour de rôle, il lui faudra donner des renseignements divers à chacun d’eux.

 

- Monsieur, l’école, où se trouve l’école ? Rémalard ? C’est loin ? Dix kilomètres, ah bon ? Il y a un autocar ? Merci beaucoup ! Jean ! Jean ! Le monsieur me dit qu’il y a un autocar et que l’école primaire n’est pas loin ! Où ? Monsieur, où est-ce donc, je ne me souviens plus ! Rémalard ! Jean ! Tu connais ? Merci bien monsieur, dit Mme Bautel qui, après cette conversation, retourne visiter la maison.

 

Elle est à peine rentrée que c’est le fils qui en sort et demande :

 

- Dites monsieur, il y a un stade de foot ? Il y a beaucoup d’enfants de mon âge dans le village ?

 

Tout le monde est enfin sorti de la maison. Mr Bautel a pris en aparté l’agent immobilier. Cela sent la discussion de gros sous. Mme Bautel, jetant vers son mari des regards d’encouragement, en cachette du négociateur, joint ses mains comme à la prière singeant en même temps du pouce et l’index le geste de conclure. Puis, elle lui montre le soleil en levant le doigt au ciel, relève la veste de son manteau et tapote sur sa montre. L’après-midi est déjà très avancée, et bien que l’on soit au début de l’été, il y a une bonne heure de route pour rentrer sur Chartres, où ils demeurent actuellement.

 

Mr Bautel et l’agent immobilier reviennent en discutant. Mme Bautel regarde son mari qui, d’un clignement d’œil, semble lui dire que tout va pour le mieux.

 

- Alors les enfants, elle vous plaît la maison ? Et toi, chérie ? Bon, nous sommes tous d’accord ? Ok, nous faisons affaire !

 

Dix huit heures sonnent au clocher de l’église, le négociateur se dirige vers la porte d’entrée, afin de fermer la porte, quand ... 

 

Un téléphone, à l’intérieur de la maison fait entendre son tintement, Dring… ! Dring… ! Dring… ! Le négociateur suspend son geste et, en regardant la famille Bautel, avec un haussement d’épaule entre dans la maison.

 

- Allo ? Oui madame ! Pardon ? Vous pouvez répéter ? La chaise ? Quelle chaise ? Vous vous trompez sûrement de numéro, au revoir madame !

 

Il sort de la maison, ferme la porte et se dirige vers les Bautel :

 

- Une dame qui a dû se tromper de numéro de téléphone. Elle me demandait de lui amener sa chaise devant la grille. En disant cela, il porte son index à sa tempe !

 

Deux mois se sont écoulés, lundi ce sera la rentrée des classes. Ce samedi, un camion de déménagement roulant presque au pas avance doucement sur la place de l’église. Arrivé devant la maison aux pierres jaunâtres, il stoppe. Des ouvriers en sortent semblant chercher quelqu’un où quelque chose. Une voiture vient se garer près du mastodonte, la famille Bautel en sort, s’éparpillant joyeusement autour de la place. Outre le mari, la femme et les enfants, il y a aussi Mme Bautel, mère.

 

- Mamie ! Mamie ! Regarde, il est beau le village hein ? T’as vu, on est juste à côté de l’église. C’est pratique pour aller à la messe, non ?

- Oui, c’est très beau. Répond la mamie à la petite fille qui lui tient la main et la traîne vigoureusement vers la maison.

- Viens, mamie, visiter notre maison. Viens, je vais te montrer ta chambre pour quand tu viendras nous voir. Tu vas voir. Derrière, on a même un jardin !

 

Mamie Bautel va s’occuper de distraire les enfants pendant que les parents et les déménageurs vident le camion et placent les meubles dans la maison.

 

En fin d’après-midi, tout est terminé. Mr Bautel est dans la salle à manger en train de boire le verre du départ avec les déménageurs quand dans l’entrée, le téléphone se met à grelotter.

 

- Te dérange pas, Jean, lance Mme Bautel. Je vais répondre. Allo ? Oui madame ! Pardon ? Vous pouvez répéter ?(je supprimerais !) Que je vous porte la chaise ? Vous m’attendez devant la grille ? Quelle chaise ? Quelle grille ? Allo ? Allo ? Bon, la dame a raccroché ! Encore une qui doit pas être très nette dans sa tête.

 

Ce n’est que dans la soirée, après que Mme Bautel mère et les enfants fatigués, auront gagné leurs chambres au premier étage, que madame va confier à son mari :

 

- Jean, il se passe quelque chose de bizarre avec ce coup de téléphone de tout à l’heure !

- Que veux-tu dire Brigitte, c’est certainement une erreur !

- Non, c’est autre chose. Le téléphone, il ne peut pas sonner, nous n’avons pas encore fait raccorder la ligne !

 

Le mari reste un instant pensif, puis :

 

- Le téléphone doit encore être en service au nom du précédent occupant. Bouges pas que je vérifie.

 

Ce faisant, il se lève et va dans le couloir où se trouve le téléphone. Mme Bautel entend son mari lever et reposer plusieurs fois le combiné de son socle. Quand il regagne la salle à manger, il fait alors un geste de négation de la tête.

 

- Non, aucune tonalité, nous voilà beaux. Il faudra contacter France Télécom qu’ils viennent remédier à cela. Ne va pas te creuser le cerveau pour si peu ma chérie, il y a une explication logique. Il suffit de réfléchir.

 

Ils vont rester un moment, perdus dans leurs pensées, puis Mme Bautel lance :

 

- Ou bien alors, le locataire précédent avait un abonnement avec restriction d’appel. Ce qui fait qu’il pouvait recevoir mais non émettre d’appel !

 

Mr Bautel se met à rire :

 

- Bien sûr ! Bravo Brigitte ! Je n’ai vraiment pas pensé à cela. Champion madame !

 

Et il lève le pouce en signe de victoire.

 

Le dimanche passe très vite, occupés qu’ils sont en rangements de toutes sortes. Les enfants se sont déjà fait de nouveaux copains et jouent près de l’église.

 

- Mamie, vous voulez bien dire aux enfants de rentrer, ils sont restés dehors tout l’après-midi. Il faut qu’ils préparent leurs affaires d’école pour demain, lance Mme Bautel à sa belle-mère, de la cuisine. 

 

Quand le téléphone se met à sonner, Brigitte sursaute. Pétrifiée, elle n’ose bouger de l’endroit où elle se trouve, ne faisant aucun geste pour aller dans le couloir décrocher. Un coup d’œil à sa montre lui indique dix huit heures passées de quelques minutes, exactement comme la veille. De la cuisine, elle observe le couloir, priant pour que le téléphone cesse ses plaisanteries. La porte d’entrée s’ouvre brutalement. Elle pousse un cri, faisant peur à ses enfants qui arrivent juste à ce moment là.

 

- Maman, que se passe t-il ? Crient-ils en cœur, en voyant leur mère toute craintive, blottie dans l’entrebâillement de la porte de la cuisine.

 

Brigitte ne répond pas, inquiète de voir que sa belle-mère, ne se doutant de rien, a décroché le combiné téléphonique.

 

- Allo ? Oui ? Bonsoir madame ! Oui ? La chaise, oui bien sûr. Où ? En face de la grille ?

 

Mme Bautel mère, tout en répondant, regarde sa belle-fille l’air songeur quand celle-ci, de la main, lui demande fermement de raccrocher. Elle s’excuse alors dans le téléphone :

 

- Pardon madame, je dois raccrocher. Au revoir, madame ! Dites-moi Brigitte, qui est donc cette dame qui réclame une chaise ?

 

Brigitte explique la bizarrerie de ces coups fils à sa belle-mère qui la regarde alors, l’un air dubitatif :

 

- C’est étrange tout de même, non ?

 

Ce lundi matin est le premier jour de la rentrée pour les enfants. Trop contents de changer de classe, ils vont aussi découvrir une nouvelle école, ainsi que la cantine scolaire. La station d’autocar que prennent tous les enfants du village se trouve sur la place de l’église. Le week-end a permis à Moune et à Félix de se faire des copains parmi les enfants du village.

 

Aux environs de huit heures, c’est d’un cœur joyeux qu’ils se rendent ensemble à la station, située tout près de la maison. Mme et Mr Bautel ont un peu le cœur gros. Leurs enfants ont décliné l’offre d’être accompagnés jusqu’à l’arrêt du bus.

 

- Oh non, maman ! Oh non, s’il te plaît, papa ! Les copains vont rire de nous, si vous venez. Nous ne sommes plus des bébés ! Tenez, si vous voulez, vous pouvez nous faire coucou du pas de la porte. On est des grands maintenant !

 

Les parents, étreints par l’angoisse de l’inconnu, savent combien l’instant présent est d’importance. Le premier envol de leurs enfants est précurseur d’autres départs bien plus déchirants vers leurs destins, jusqu’à  la rupture qui les verra alors fonder leur propre foyer.

 

Mr Bautel, pour engager quelques travaux d’installations, a pris une semaine de congés. Dès neuf heures, de son téléphone portable il contacte les services du téléphone. Ce qu’il va apprendre ne va faire qu’épaissir encore plus le mystère : La ligne téléphonique est interrompue depuis deux ans. Le préposé, après quelques vérifications, lui assure qu’aucun coup de téléphone n’a été passé ou n’a été reçu depuis le poste. Mais ! Et c’est alors la stupéfaction ! Il est impossible qu’ils aient pu recevoir un appel puisque la ligne est ... coupée depuis un bon moment ! La ligne téléphonique n’est plus reliée au réseau. Cela fait plus d’un an, puisque l’abonné précédent avait un retard de facture. Il n’a pas répondu aux relances courrier, la compagnie a donc coupé la ligne au poteau se trouvant à l’extérieur.

 

Il faut à Mr Bautel, après avoir raccroché, un bon moment pour s’en remettre. Que se passe t-il donc ? Ils n’ont pas rêvé ou plutôt fait un cauchemar collectif, ce n’est pas possible.

 

Afin d’être sûr, dans le couloir, il enlève le fil du combiné de la prise murale auquel il était relié. Puis, se saisissant du téléphone, il le pose sur un coin de la table de la salle à manger.

 

‘Bon, se dit il, alors là mon pote, si tu sonnes et bien je me fais moine et j’entre au couvent !’

 

La journée se passe assez rapidement. Ils n’ont pas le temps de penser à cette histoire qui, il est vrai, n’est pas bien grave. Le nettoyage et le lessivage des peintures de la maison les occupent tant et si bien qu’ils en oublient tout le reste. Les visites de courtoisie de leurs voisins seront les seuls moments de détente qu’ils auront. Dix huit heures sonnent au clocher. Pour un œil averti, il n’est pas difficile de sentir monter la tension. Le moindre bruit les fait sursauter.

 

Les six coups au clocher ont résonné, Mme Bautel s’approche de son mari en train d’installer une armoire dans la chambre du rez-de-chaussée.

 

- Jean, le téléphone n’a pas sonné. Ouf ! Je peux bien te l’avouer maintenant, mais j’étais terrorisée à l’idée qu’il se mette à grelotter de nouveau !

- Comment aurait-il pu ? Il est sur la table de la salle, le fil à nu tel un pantin désarticulé ! Je voudrais voir quel marionnettiste peut passer devant moi sans que je l’aperçoive. Nous avons été victimes d’un phénomène incompréhensible ! J’entends l’autobus qui arrive. Viens vite, allons chercher nos marmots, et surtout, ne dépassons pas le pas de la porte pour ne pas nous faire gronder.

 

Tout en parlant, il prend sa femme par la taille et dans le couloir la pousse jusqu’à la porte d’entrée. Brigitte ouvre, ils sortent tous deux, faisant signes aux enfants qui poussent des cris de joie en arrivant dans leur direction. L’autobus quitte son stationnement jouant de l’avertisseur afin que les enfants lui laissent la place libre pour circuler.

 

Dring ! Dring ! Dring !

 

Mr Bautel tourne la tête à droite et à gauche. Il ne peut pas croire que cela vient de la maison ! Pourtant, il doit se rendre à l’évidence.

L’impossible est en train de se produire !

 

Le téléphone, posé sur la table de la salle à manger, fait entendre un grelottement qui semble de loin les narguer.

 

 Mr Bautel sent à travers le tissu de la robe de sa femme son corps s’agiter de tremblements.

 

- J’y vais ! Restes là, avec les enfants. J’y vais ! Lance t-il en courant vers la salle à manger.

 

Malgré le peu de temps qu’il met pour atteindre la pièce, la sonnerie a cessé. Il cherche le téléphone des yeux. Il est là, muet, à l’endroit où violement il l’avait posé ce matin. Il tire une chaise, les coudes posés sur la table, ses deux mains se tenant la tête. Il fixe, les yeux dans le vague, le téléphone.

 

- Nous sommes au vingtième siècle, cela ne peut pas exister, je dois trouver une explication logique !

 

Quand le téléphone soudainement se remet à sonner, il n’est alors pas loin de penser qu’il est en train de devenir dingue. Il lève le combiné d’un geste résigné :

 

- Allo ? Allo ? Oui ? Bonjour madame puis-je connaître votre nom ?

 

Sa femme, qui est entrée dans la salle de séjour, le regarde avec des yeux ronds d’étonnement. Elle fait un non vigoureux de la tête.

 

- Jean, regarde-moi ! Jean, crie t’elle, regarde-moi ! Raccroche ! Je t’en prie raccroche ! Je deviens folle, ce n’est pas vrai ! Je deviens folle !

 

Jean lève les yeux, hausse les épaules dans un geste de résignation, puis annonce dans le téléphone.

 

- Allo ? Allo ? Oui, madame ! Oui ! Mais où se trouve la chaise ? Où, dites-moi madame, s’il vous plait, où ? Dehors ? Près de la porte ? Mais il n’y a pas de chaise dehors ! Je vais voir, ne quittez pas.

 

Il se précipite jusque dehors, pour s’assurer qu’il n’y a pas de chaise, Puis, reprenant le téléphone :

 

- Allo ! Allo ? Allo ? Il n’y a plus personne, dit-il en raccrochant.

 

Le phénomène se reproduira le lendemain. Puis, le mercredi, Brigitte va remarquer quelque chose. Quand il y a école, le téléphone ne sonne que lorsque le car est arrivé. Mais le mercredi jour sans école il a, pile, sonné aux six coups annonçant dix huit heures ! Le jeudi, le scénario est identique aux autres jours. Dire qu’ils sont habitués est un bien grand mot. Le vendredi dès le matin, aussitôt, les enfants partis pour l’école, d’humeur pas très vaillante, ils sont tous les deux assis dans la salle à manger. Jean, sous le couvert de la plaisanterie, parle d’en faire un évènement de foire.

 

- Nous allons avertir les journaux. Brigitte, tu te mettras à la porte pour encaisser, et il n’y aura plus qu’à attendre que cela sonne.

 

Sous la boutade, on peut dans ses paroles sentir un profond désarroi.

 

- Jean, j’ai peur. Il faut prévenir la gendarmerie, fait quelque chose je t’en prie.

- Brigitte, que vais-je dire aux gendarmes ? Nous allons passer pour des tarés ! ‘Mr le gendarme, alors, que je vous explique : il y a chez moi un téléphone qui n’est branché sur aucune ligne. Pourtant, ma femme et moi conversons avec une femme qui nous appelle certainement de l’au-delà afin que nous sortions sa chaise dehors ! Quelle chaise monsieur le gendarme ? Alors là, mystère puisque nous venons d’acheter cette maison qui était vide !’

- Jean, il faut alors que tu appelles le notaire, la maison est ensorcelée ! Oui c’est ça. Fais quelque chose, je vais craquer ! Si cela continue, je ne vais plus remettre les pieds dans cette foutue baraque.

- Bien Brigitte, je vais aller chez le notaire me renseigner.

 

Il se lève, prend sa veste posée sur une chaise et se dirige vers la porte.

 

- Attends ! Attends ! Que fais-tu ? Tu ne vas tout de même pas me laisser seule dans cette maison, tout de même ! Alors là, pas question ! Si tu pars, je m’en vais aussi !

- Voyons Brigitte, ne fais pas l’enfant, il n’y a rien de dangereux. Il ne t’a pas attaquée le téléphone. Tout de même, allons !

- Ha oui, et bien restes y ici, toi, et c’est moi qui vais me rendre chez le notaire !

- Brigitte, cela suffit ! Arrête ce caprice ! Ressaisis-toi ! Je compte, dans le même temps me rendre chez le fournisseur de matériaux. Mais viens avec moi, si tu ne veux pas rester dans la maison. Reconnais tout de même que c’est d’un ridicule ! Regardes, tu n’es vêtue que d’un vieux jogging ; ça m’étonneraitque tu veuilles sortir ainsi, non ? Je n’en ai pas pour longtemps. Tiens, j’entends de la musique chez les voisins. Ils nous ont invités, il n’y a pas plus tard qu’hier, à boire le café. Vas-y, donc le temps que je revienne.

 

Après quelques instants de flottement et d’hésitation, Brigitte accepte d’y aller.

 

- Je vais prendre le prétexte de demander les jours d’ouverture de la mairie, dit-elle soulagée de ne pas rester seule dans la maison et de faire connaissance avec ses voisins.

 

Mr et Mme Mietter sont de jeunes retraités. Ils sont installés dans le village depuis longtemps déjà. Mr Mietter est même conseiller municipal. La visite de bienvenue de Brigitte est pour eux un grand plaisir.

 

Jean, rassuré, peut prendre la route pour se rendre à Rémalard.

 

Quand il arrive à l’étude, la secrétaire, désolée, lui annonce que le notaire ne sera pas là avant une heure. Il en profite pour aller prendre des matériaux au magasin de bricolage. Alors qu’il navigue entre les rayons, son portable se met à sonner. Brigitte l’appelle de chez les voisins.

 

- Jean ? T’es-tu déjà rendu chez le notaire ?

 

Avec agacement, il répond qu’il a pris rendez-vous et compte y retourner après ses achats.

 

- Jean, je préférerais que tu rentres de suite. Tu iras plus tard chez le notaire. Viens me retrouver, il faut que tu entendes ce que nos voisins viennent de m’apprendre. C’est important ! Rentre vite. Je suis chez eux, nous t’attendons.

 

Intrigué, Jean laisse les matériaux qu’il avait choisis, à même le chariot, et s’éclipse du magasin en catimini.

 

La distance entre Rémalard et Verrières est d’à peine quinze kilomètres, qu’il va parcourir rapidement. La voiture n’est pas encore garée que Brigitte, du pas de la porte, lui fait signe de les rejoindre. Ils se retrouvent assis autour de la table, un café entre les mains.

 

- Jean, j’ai parlé avec Mme et Mr Mietter de ce qui nous arrive. Mr Mietter, racontez donc à mon marice que vous venez de m’apprendre. Ecoutes, Jean !  Ecoutes bien !

 

Mr Mietter commence alors son récit :

 

-        La maison que vous venez d’acquérir, comme vous l’avez remarqué était autrefois l’échoppe du coiffeur du village, qui s’appelait M. Tavette. Quand il est décédé, il y a de cela très longtemps, sa femme que tout le monde ici appelait familièrement Mme Tatave n’a pas voulu vendre la maison. Elle a fait faire des travaux pour que cela devienne une habitation, ne laissant que pour seul vestige du métier de son mari l’enseigne de coiffeur au dessus de la porte.

  Elle est décédée il y a environ deux ans. Vous avez, par l’intermédiaire d’une agence, acheté sa maison à ses petits cousins. Mme Tatave était adorée de tout le monde, et surtout des enfants qui l’appelaient mamie Tatave.

 Elle ne sortait plus du tout de chez elle sauf pour ...attendre devant chez elle le car de six heures du soir qui ramène les enfants de l’école. Elle les attendait sur le pas de la porte, assise sur une chaise, puis sortant les peignes et brosses de son défunt mari elle faisait asseoir à tour de rôle les fillettes et les garçons, et, avec délicatesse leur coiffait les cheveux, distribuant comme le faisait son mari à chacun un bonbon. Je peux vous assurer que ce cérémonial avait commencé depuis très longtemps puisque le fils du maire, âgé maintenant de trente ans, nous en a parlé il n’y a pas huit jours de cela, nous assurant que jamais depuis il n’a gouté de si bonnes friandises que celles que distribuait Mamie ‘Tatave’.